Les Sauvages 4 by Louatah Sabri

Auteur:Louatah,Sabri [Louatah,Sabri]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Foreign Languages, French
Amazon: B019C8L6NU
Éditeur: Flammarion/Versilio
Publié: 2016-01-06T23:00:00+00:00

4.

— Il va être obligé de dénoncer, pronostiqua Wagner en invitant son dernier rendez-vous de la journée à entrer dans son bureau, sous les combles du palais de justice. Et s’il se met à minauder et à valider cet appel grotesque, même à demi-mot, c’est bien simple : il est foutu. Les gens vont prendre peur… N’empêche, notre ami va probablement être regardé par plusieurs millions de personnes, au bas mot, on va enfin savoir ce qu’il a dans le ventre…

Le juge s’exaspéra de son propre ton, de sa voix sautillante. Ce n’était pas le moment de donner dans le triomphalisme. Il indiqua une chaise encombrée de paperasse à son invité :

— Ma fille ne devrait pas tarder.

Fouad ne réagissait pas et demeurait figé devant le dossier de sa chaise. Le juge leva les yeux de l’iPad qu’il avait rapporté de New York et toisa le jeune acteur : sa main droite remuait de façon inquiétante, il n’arrivait pas à la calmer et c’était encore pire quand il recroquevillait ses doigts, le tremblement gagnait alors en amplitude, on aurait dit qu’il s’apprêtait à donner un coup de poing.

Sur le bureau de son nouveau greffier qui venait de s’éclipser, un poste de radio diffusait un bulletin météo annonçant la fin du mauvais temps sur la capitale. Wagner alla débrancher l’appareil et demanda à Fouad si tout allait bien, il avait l’air un peu pâle, comment dire, agité.

Le juge enleva les dossiers de sa chaise, Fouad put s’asseoir. Il secoua la tête, se frotta le visage avec les mains :

— Pardonnez-moi, j’ai eu une journée éprouvante.

Wagner voulut répliquer : « Comme nous tous » ; il préféra s’abstenir et hocha la tête en voyant l’heure s’afficher dans un coin de sa tablette.

Mais voici qu’on frappait justement à la porte…

La fille de Wagner entra comme une furie et n’attendit pas d’avoir jeté son sac à dos au pied du bureau pour se mettre à pourrir son lycée huppé, où on ne jurait que par Montesquiou et l’ADN… Elle alla s’asseoir sur le rebord de la fenêtre, en tailleur, le regard tourné vers les toits de Paris et leurs teintes moroses et bigarrées, l’ardoise, le zinc, la tuile. Fouad constata que la jeune fille dont s’était épris Krim était une beauté, avec de longs et volumineux cheveux clairs, des yeux saisissants, à la couleur étrange, une bouche pulpeuse et cette voix éraillée qu’on n’entend qu’en France, celle d’une lycéenne en fin de manif :

— Rien que dans ma classe, y en a au moins quinze qui vont suivre l’appel et aller emmerder des musulmans. Pff. Que des mecs, en plus, évidemment. Non mais j’arrive pas à le croire…

Fouad vit qu’elle était sincèrement affectée. Il se redressa et s’aperçut qu’il n’avait imaginé à aucun moment, depuis le début de ce cirque, que des gens allaient réellement s’exécuter, acheter ou confectionner un sandwich au porc pour aller tourmenter leurs voisins aux noms arabes. Fouad avait surtout jugé les propos de Putéoli, évalué l’amplitude de son « dérapage » ; mais

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